• Arthur Rimbaud par le plasticien Ernest Pignon-Ernest


    Au gibet noir, manchot aimable,
    Dansent, dansent les paladins,
    Les maigres paladins du diable,
    Les squelettes de Saladins.

    Messire Belzébuth tire par la cravate
    Ses petits pantins noirs grimaçant sur le ciel,
    Et, leur claquant au front un revers de savate,
    Les fait danser, danser aux sons d'un vieux Noël !

    Et les pantins choqués enlacent leurs bras grêles :
    Comme des orgues noirs, les poitrines à jour
    Que serraient autrefois les gentes damoiselles,
    Se heurtent longuement dans un hideux amour.

    Hurrah ! les gais danseurs qui n'avez plus de panse !
    On peut cabrioler, les tréteaux sont si longs !
    Hop ! qu'on ne cache plus si c'est bataille ou danse !
    Belzébuth enragé racle ses violons !

    O durs talons, jamais on n'use sa sandale !
    Presque tous ont quitté la chemise de peau ;
    Le reste est peu gênant et se voit sans scandale.
    Sur les crânes, la neige applique un blanc chapeau :

    Le corbeau fait panache à ces têtes fêlées,
    Un morceau de chair tremble à leur maigre menton :
    On dirait, tournoyant dans les sombres mêlées,
    Des preux, raides, heurtant armures de carton.

    Hurrah ! la bise siffle au grand bal des squelettes !
    Le gibet noir mugit comme un orgue de fer !
    Les loups vont répondant des forêts violettes :
    À l'horizon, le ciel est d'un rouge d'enfer...

    Holà, secouez-moi ces capitans funèbres
    Qui défilent, sournois, de leurs gros doigts cassés
    Un chapelet d'amour sur leurs pâles vertèbres :
    Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés !

    Oh ! voilà qu'au milieu de la danse macabre
    Bondit dans le ciel rouge un grand squelette fou
    Emporté par l'élan, comme un cheval se cabre :
    Et, se sentant encor la corde raide au cou,

    Crispe ses petits doigts sur son fémur qui craque
    Avec des cris pareils à des ricanements,
    Et, comme un baladin rentre dans la baraque,
    Rebondit dans le bal au chant des ossements.

    Au gibet noir, manchot aimable,
    Dansent, dansent les paladins,
    Les maigres paladins du diable,
    Les squelettes de Saladins.

     

    Arthur Rimbaud


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  • Au delà des rimes

     

    Encore une nuit de tourments baignée dans le jus visqueux de mon cerveau.

    Une boule dans la gorge me tiraille, un son aimerait sortir de ma bouche mais celle-ci reste close. Mes doigts serrent un crayon mais la feuille reste blanche, désespérément blanche... Les yeux fermés, je ne peux que constater le vide de sens. Les yeux ouverts, je dois faire face à l'absurdité de mon existence. Mes glandes lacrymales ne me sont d'aucun secours, taries à la source. Alors les mains crispées sur le clavier, je parle à la machine :

    - On dit que plaie d'amour n'est pas mortelle mais la sécheresse du cœur serait-elle incurable ?

    Aucune réponse.

    Qui ne dit mot consent, cela confirmerait-il ma question ? Pendant combien d'années encore vais-je devoir supporter mon reflet dans le miroir chaque matin ?

    Encore une journée à errer. Encore un trajet en cercueil à roulettes où rien ne m'est arrivé alors que je mets pourtant toutes les chances de mon côté. D'ailleurs si quelqu'un a l'email de ma bonne étoile qui me le donne sur le champ, j'aurais une requête à lui faire.

    "Chère Bonne Etoile,

    Merci pour tant d'années de bons et loyaux services. Avec moi, tu n'as pas chômé et justement un peu de repos serait grandement mérité. Serait-il trop te demander que de lâcher prise et de faciliter par ta passivité une disparition accidentelle ? Ou alors, si tu préfères simplement déprogrammer mon instinct de survie ?

    @+ sous l'bus !

    Lilouh"

    Encore une nuit à penser...

    Je pousse le son, je fais craquer mon briquet sur la fraise éteinte. Pendant que je remplis mes poumons d'ivresse cannabique, mes pulsations se calent sur la basse. Mes paupières s'affaissent pour laisser dérouler la spirale de mes pensées et le cri de mon âme s'évaporer.

     

    03/05/2009

     

     


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  • Puit d'inspiration



    Elevation

    Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
    Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
    Par delà le soleil, par delà les
    éthers,
    Par delà les confins des sphères étoilées,
     
    Mon esprit, tu te meus avec agilité,
    Et, comme un bon nageur qui se
    pâme dans l'onde,
    Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
    Avec une indicible et mâle volupté.
     
    Envole-toi bien loin de ces
    miasmes morbides ;
    Va te purifier dans l'air supérieur,
    Et bois, comme une pure et divine liqueur,
    Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
     
    Derrière les ennuis et les vastes chagrins
    Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
    Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
    S'élancer vers les champs lumineux et sereins ;
     
    Celui dont les pensers, comme des alouettes,
    Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
    – Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
    Le langage des fleurs et des choses muettes !

    Spleen et Idéal, III


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